Les principes à l’origine du concept de stockage géologique des déchets

Le stockage en couches géologique profondes est considéré comme une solution de référence depuis de nombreuses décennies ; la première réflexion systématique sur le sujet a été organisée par l’Académie des Sciences des Etats-Unis et fait l’objet d’une publication historique en 1957 : « The Disposal of Radioactive Waste on land ».

Depuis lors, la solution de stockage géologique préconisée comme option définitive de gestion des déchets ultimes fait l’objet d’un consensus international développé dans différents cadres (AIEA, NEA/OCDE, CIPR …). Ces développements trouvent leur origine dans des principes issus de la notion de développement durable que nous nous proposons de présenter succinctement ci-dessous, intégrant également des considérations éthiques:

  • Souci des générations futures,
  • Principe de précaution
  • Principe pollueur-payeur,
  • Prise en compte du temps long au regard de la stabilité des sociétés et des civilisations engageant la responsabilité de la génération qui a produit ces déchets.

Ces principes, associés au développement durable, sont principalement issus de la déclaration de Rio de 1992 à laquelle la France a adhéré, et ont ensuite été déclinés, en ce qui concerne la question des déchets nucléaires, dans le chapitre 22 de l’agenda 21, la convention commune (cadre AIEA) sur la sûreté de la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs adoptée en 1997 et entrée en vigueur le 18 juin 2001, la directive européenne 2011/70/Euratom, puis transposés dans le droit français (loi Barnier de 1995, charte de l’environnement de 2004 intégrée à la Constitution française en 2005, loi sur la mise en œuvre d’un stockage géologique réversible de 2016, etc…), et intégrés ensuite au Code de l’environnement.

 

Le souci des générations futures dans sa forme actuelle prend sa source dans les notions de développement durable et d’équité intergénérationnelle qui l’explicite, telles qu’établies lors du Sommet de la Terre qui a eu lieu à Rio en 1992  ; ces deux notions reconnaissent que « le développement qui répond aux besoins des générations actuelles doit se faire sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » d’une part et qu’il faut « éviter de reporter sur les générations futures des conséquences négatives (environnementales, économiques et sociales) » de notre modèle de développement d’autre part.

Dans le cas des déchets radioactifs, suivre ces principes met logiquement à charge des générations qui ont participé au développement et à l’exploitation de l’énergie nucléaire en particulier pour la production d’électricité de gérer les conséquences qui en découlent et partant les déchets.

Nos générations ont donc le devoir moral d’apporter aujourd’hui et en tout cas sans délais excessifs une solution de gestion des déchets radioactifs respectueuse des générations futures.

Le principe de précaution a été théorisé par le philosophe allemand Hans Jonas dans « le principe de responsabilité » (1979). Contrairement à beaucoup d’interprétations, Jonas n’y voit pas une raison d’immobilisme mais au contraire une raison d’agir de façon responsable sur une base rationnelle et informée.

Il n’existe pas de définition unique du principe de précaution qui s’interprète souvent de façon contradictoire. Ces interprétations sont souvent le reflet des valeurs sociales et politiques vivant dans une société.

Il a fait l’objet de tentatives de définitions successives, d’abord formulées de façon assez floue, mais qui au fil du temps ont évolué vers l’expression de la nécessité d’agir :

Au plan international :

  • Déclaration de Rio (1992) :

« En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. »

En France :

Principe « selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût économiquement acceptable. »

« Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

Cette dernière formulation est clairement positive ; selon la charte de l’environnement, le principe de précaution est un principe d’action. Le principe de précaution est un outil de décision dans des situations caractérisées par de grandes incertitudes et d’enjeux importants notamment en matière de santé humaine et d’environnement.

L’application correcte du principe de précaution requiert une évaluation objective des risques et des incertitudes et de proportionner les mesures à la connaissance existante et impose d’améliorer le degré de connaissance si nécessaire.

La mise en œuvre du stockage géologique dès que la connaissance nécessaire est acquise, et les risques estimés correctement, s’inscrit dans une application correcte du principe de précaution.

A noter le rôle et la responsabilité de la CNE2 dans sa mission d’évaluation de la connaissance et des incertitudes.

Le principe pollueur-payeur vise à la prise en compte par les acteurs économiques des externalités négatives de leurs activités. Il découle de la notion d’éthique de responsabilité, c’est-à-dire l’obligation de répondre de ses actes et d’en assumer les conséquences.

Ce principe a été adopté par l’OCDE en 1972 et repris par la suite dans les traités européens (Acte unique 1987, Traité de Lisbonne 2007) et introduit dans le droit français (Charte de l’environnement, code de l’environnement).

L’application de ce principe implique notamment de monétariser les atteintes à l’environnement par exemple en estimant les coûts de dépollution.

Dans le cas des déchets radioactifs, le chiffrage des coûts des stockages est un élément incontournable de l’application du principe. Il est pour cela nécessaire de se référer à un concept de référence et à une chronique d’exploitation (scénario de référence pour le chiffrage des coûts). Le principe pollueur-payeur sera d’autant mieux appliqué que le projet de stockage sera précisément défini.

La réalisation du stockage, dès qu’elle apparaît faisable et justifiée, permet donc une application correcte de ce principe, notamment en matière de provisionnement des coûts futurs.

Toute stratégie visant à retarder la mise en œuvre du stockage, l’entreposage de longue durée par exemple, entrave l’application de ce principe car elle augmente l’incertitude sur les évaluations des coûts (répétition des entreposages, évolution de l’économie…)

Les échelles de temps à franchir pour la gestion des déchets radioactifs dépassent de loin l’échelle humaine ; sur ces échelles de temps, des civilisations peuvent naître et disparaître, les sociétés peuvent progresser ou régresser. A ces échelles de temps, l’on ne peut faire l’hypothèse de la stabilité de la société des points de vue culturel, politique, scientifique ni technologique.

La protection de l’homme et de l’environnement doit donc être assurée de façon à ne requérir aucune intervention humaine dans un environnement stable à une échelle comparable : le stockage géologique en couches géologiques profondes stables depuis des millions d’années répond à cette exigence.